Texte
[26 novembre 1852]
Monsieur, si je l'avais osé, c'est moi qui vous aurais écrit il y a longtemps, lorsque pour la première fois, j'ai lu le tribut de Nomennoé1 dont je n'ai pas encore dit tout ce que je pensais en écrivant pour ce froid public qui prend toujours l'enthousiasme pour de la réclame. Certes c'est à vous que je dois une des plus grandes jouissances littéraires que j'aie éprouvées dans ma vie, et c'est moi qui loin d'accepter vos remerciements, vous adresse l'expression d'une vive reconnaissance. Pour traduire ainsi, il faut avoir un sens profond du beau et du vrai. Je ne sais pas un mot de breton, et je veux croire que vous n'avez rien mis du vôtre dans cette traduction. Mais peu m'importe. Savoir communiquer complète l'impression que vous a causée2 un chef-d’oeuvre. C'est se l'assimiler au point d'en être le créateur soi-même. Soit dit de Noménoé, sans préjudice des autres pièces du recueil dont je n'ai jamais pu lire une seule sans avoir envie de pleurer. Au reste je ne suis pas le seul lecteur passionné à ce point. Mes enfans, mes amis, tout ce qui m'entoure, tout ce que je connais est du même sentiment, et je voudrais que vous eussiez assisté à certaines veillées où nous avons initié quelque nouveau venu à notre jouissance. Elle est inépuisable. Il ne se passe d'année sans que nous reprenions cette lecture qui écrase toutes les autres.
Agréez donc monsieur, ce tribut de famille, qui vous est si bien dû, et qu'il est doux de vous offrir.
George Sand Nohant. Indre. Lachâtre. 26 9bre 52.